TEMPS DE LECTURE : 8 MINUTES
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TEMPS DE LECTURE : 8 MINUTES •
CHRONIQUE DE LA CRÉATION D’un festival d’humour autofinancé, en millieu rural
Sur les marchés, les gens M’INTERPELLENT AVEc “C’EST VOUS le p’tit jeune du festival d’humour ?”. Ils me reconnaissent entre deux étals de légumes ou devant le camion à poulets rôtis. AVANT DE POURSUIVRE “C’est bien ce que vous faites. Continuez, vous êtes vaillant.” Il y a toujours, dans ces mots simples, une chaleur désarmante, un mélange de fierté et d’étonnement. Comme si le fait d’avoir monté un festival ici, dans le Gers, relevait d’un acte de COURAGE presque incompréhensible. Parfois, quelqu’un ajoute, mi-sérieux, mi-moqueur : “Et avec la mairie, c’est pas trop compliqué ?” ou “Je sais pas comment vous faites pour faire venir des artistes pareils, moi, je croyais qu’ils allaient qu’à Toulouse.”
Ces phrases-là, je ne les oublie pas. Elles disent tout : le rapport au pouvoir, la méfiance polie, la curiosité, la distance qu’un territoire rural entretient avec le reste du monde. Dans le Gers, on ne s’étonne pas de manquer de certaines choses, on s’étonne quand elles arrivent.
J’ai lancé les Fous Rires Gascons avec 300 euros d’économies, POUR LE SITE WEB, L’OUVERTURE DU COMPTE ET QUELQUES impressionS, mais avec un besoin presque physique de créer du lien. Ce n’était pas un projet mûrement financé, encore moins un business plan RÔDER. C’était un pari, ou peut-être une nécessité, moi qui, passionné de stand-up, voulait ramener ça ici, là ou j’ai grandi, DANS UN RETOUR AUX SOURCES APRÈS 3 ans de vie à toulouse. J’avais La conviction qu’à force de parler d’isolement, de déprise, EN PARLANT de désert SOCIAL ET culturel COMME DE MÉDICAL, on avait fini par y croire. Et qu’il fallait, à notre échelle, inverser le récit. Montrer que l’on pouvait faire venir ici, à Auch ou Mirande, pas seulement des propositions amateurEs, mais les artistes incontournables qu’on regarde à la télé, qu’on écoute à la radio. Que ce territoire méritait, lui aussi, d’être un lieu d’étape sur la carte des tournées, pas seulement un décor estival.
Tout a commencé AUTOUR D’un APÉRO, avec des potes ET DE LA FAMILLE, une feuille blanche et un téléphone. Une page Facebook, quelques messages, un peu d’espoir. Deux mois plus tard, il y avait déjà des bénévoles, des commerçants qui proposaient de se porter relais, des vignerons qui prêtaient leurs bouteilles, des lycéens qui voulaient coller des affiches. On s’est appuyés sur ce qu’on avait : du temps généreux, de la patience, et ce sens du collectif qu’ont les territoires qui bricolent et se battent pour exister.
Le budget était absurde : 100 000 euros DE DÉPENSES à couvrir, 1 500 de subventions, ET à la billetterie DE FAIRE LE RESTE. Je me souviens de cette angoisse au moment d’ouvrir la vente : et si personne ne venait ? Si on avait juste rêvé trop fort ? Mais les gens ont répondu, par dizaines, par centaines. Pas seulement parce qu’ils avaient envie de rire, mais parce qu’ils avaient envie d’être là, de construire du commun, de prendre CE pari avec nous.
Ce qui s’est passé ensuite NOUS A dépassER. Les salles pleines, les artistes connus qui acceptent de venir, la presse régionale qui s’en fait le relais joyeux, et surtout, ce chiffre qu’on n’avait pas prévu : plus de 70% public n’avait jamais franchi la porte DE LA salle de spectacle DANS LAQUELLE ILS RENTRAIENT. Ce n’était donc pas qu’un festival : c’était une première fois, pour beaucoup. Un moment de réconciliation entre la culture et ceux qui s’en sentaient exclus, exclus de propositions qu’il JUGEAIT trop élitistes.
Ramener des humoristes “vus à la télé” sur un territoire qui se sent souvent relégué, c’est plus qu’un plaisir, c’est PERÇU COMME un geste politique. Voir ANNE ROUMANOFF, Aymeric Lompret, GUILLAUME MEURICE, ALEX VIZOREK, LAURENT BAFFIE ou MARINE LEONARDI fouler les scènes d’Auch, de Mirande OU FLEURANCE, c’est donner aux habitants une image d’eux-mêmes qu’on leur refuse souvent : celle d’un public légitime. Dans leurs rires, et c’est a notre échelle, une petite forme de revanche. Comme si la distance symbolique avec les grandes villes se réduisait enfin à zéro.
Mais la joie n’efface pas la rudesse du chemin. Monter un projet indépendant, sans réseau local, sans “parrainage” politique ou économique, sans être adoubé par les structures existantes, c’est déranger l’ordre des choses. On vous félicite en public et on vous teste en privé. Certains encouragent sincèrement, d’autres observent, mettent des batons dans les roues, méfiant•e•s de ce qui pourrait bousculer le confort des habitudes. On découvre vite que la bienveillance du territoire va souvent de pair avec son inertie. On apprend à composer. À sourire, à expliquer, à ne pas se lasser, a NE PAS se laisser.
Et pourtant, au milieu de ce contexte tendu, pour la culture comme pour nos collectivités, nous avons eu la chance de recevoir les appuis opérationnels du président du Département et du maire, deux soutiens précieux qui ont permis au projet d’avancer quand beaucoup doutaient encore. Leur confiance, dans un moment où la culture se fragilisait, a compté. Elle a eu le mérite d’offrir une légitimité, un ancrage.
Et pourtant, c’est aussi dans cette résistance que se loge la beauté du projet. Parce qu’à force de convaincre, d’impliquer, de désamorcer, de montrer que c’est possible, le festival devient alors le rendez-vous d’une ruralité qui ne mendie pas la culture mais la fabrique. Celui d’un territoire qui ne veut pas être “aidé” mais être reconnu.
De cette énergie-là est née une idée simple : le Billet Solidaire. 5% des volumes de billetterie sont désormais consacrées à offrir des places à des bénéficiaires d’associations locales : familles modestes, jeunes en insertion, personnes en situation de handicap. Ce n’est pas un dispositif de communication, c’est une mécanique VERTUEUSE de justice sociale : chaque spectateur, en achetant sa place, en finance une autre sans le savoir, CAR LES RECETTES DES SPECTACLES COMPLETS, permettent de donner des places sur les spectacles qui ne le sont pas encore (sous forme d’invitations partenaires neutres), tout en permettant l’équilibre financier de la structure. Cette équité silencieuse, cette fraternité anonyme, dit mieux que n’importe quel discours ce que peut être la culture, quand elle sert à fédérer.
Aujourd’hui, deux éditions plus tard, le festival attire plus de 5000 spectateurs, mais les chiffres m’importent peu. Ce qui compte, ce sont les visages : ce père qui OFFRE à son fils UN BILLET POUR DONOVAN, ET l’amene pour la 1ere fois au théâtre, cette bénévole qui sert un verre de vin à un humoriste qu’elle a vu la veille à la télé, ou ce retraité qui, en me serrant la main sur le marché, lâche : “C’est bien, ce que vous faites, ça met un peu de monde dehors.”
Désormais, pour la suite, nous révons de créer un village de festival 100% gratuit autour d’animations, d’émissions, de partenariats médias et de propositions culturelles offertes, en complement de la mise en vente de plus de 7000 billets.
Alors oui, c’est parfois épuisant, souvent fragile, toujours exigeant. Mais c’est aussi une manière de faire de la politique sans en avoir l’air. Alors, Je m’étonnerai toujours de cette résignation tranquille qui veut qu’on ne puisse plus rien faire, faute de dotations.
Pas celle des slogans, mais celle du lien.
Pas celle des programmes, mais celle des présences.
Parce qu’ici, dans le Gers, faire rire, c’est déjà faire tenir le monde ensemble un peu plus longtemps.